Publié dans Le Soleil, 1968 «Limoilou – une terre française…aux mains des Anglais»
Hedleyville, vous connaissez? C’est ainsi que notre francophonisme Limoilou s’appelait avant d’abandonner son statut de municipalité en 1909, à la ville de Québec.
Cet Hedleyville renfermait des rues aux noms tout droit sortis de la fière Albion : Gulston (2e rue actuelle), Anderson (3e rue), Wheatney, William, etc.
Comment expliquer un tel phénomène dans une terre si tôt marquée du sceau de la France, la première dont Jacques Cartier prit possession au nom de son roi en plantant une grande croix? Dès 1535 en effet, lors de sa deuxième expédition au Canada, le célèbre Malouin a passé l’hiver au confluent des rivières Saint-Charles et Lairet, dans ce qui devait s’appeler plus tard Limoilou (du nom du manoir que Cartier possédait près de Saint-Malo, en Bretagne).
En 1690, les soldats de Phipps se battirent contre les Français à la Canardière, ainsi nommée à cause des nombreux canards sauvages qui en avaient fait leur lieu de prédilection.
En 1759, Vaudreuil y campa avec ses miliciens, les hommes de Montcalm et de Lévis, déjà couverts de gloire à Carillon, y ont passé quelques jours avant la défaite aux mains de l’Angleterre, sur les plaines d’Abraham.
«Une trahison seule a changé en champ de bataille les hauteurs d’Abraham; une victoire anglaise les a rendus célèbres. Les gloires militaires du Québec français sont écrites ailleurs : sur les battures humides de la Canardière, sur les pentes verdoyantes de Beauport, sur les falaises abruptes de Montmorency, note le P. Marie-Antoine Lauzon dans un ouvrage publié en 1946 pour marquer le cinquantième anniversaire de la paroisse Saint-Charles.
Aux mains des Anglais
Cette riche plaine qui s’allongeait de la Saint-Charles à Charlesbourg et à Beauport avait été concédée aux Jésuites en 1626 par le duc de Ventadour, vice-roi de la Nouvelle-France. On lui donna le nom de Seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Lors de la dissolution de l’ordre de Saint-Ignace, à la fin du 18e siècle, le fief fut divisé entre plusieurs grande familles locales.
Comment ces gras pâturages, défrichés et cultivés depuis plus de cent ans, sont-ils tombés aux mains des Anglais? Nul ne le sait. «Ce qui est certain, c’est qu’il nous fallut un siècle de labeur acharné pour rentrer en possession et nous réinstaller chez nous», souligne le P. Alexis, capucin dans une monographie datée de 1921.
Voilà comment, à la fin du siècle dernier, on sentait encore l’influence anglaise dans Hedleyville, ainsi nommée en l’honneur de Hedley Anderson, principal propriétaire de Limoilou.
Si presque tous les noms des rues anglais ont disparu, c’est qu’un membre du conseil municipal d’alors, le notaire Blondeau, proposa qu’on numérote les voies publiques en leur donnant le nom d’avenues ou de rues selon leur disposition, comme à New-York.
Une nouveauté : des balcons
Pour que la jeune ville fondée en 1893 accepte de s’annexer à Québec, la capitale lui mit l’eau à la bouche, lui promettant ponts de fer, tramways, égouts, pavage des rues principales et des trottoirs.
Conquises par ce nouveau quartier aux larges artères bordées de maisons avec balcons – ce qu’elles ne connaissaient pas dans le centre-ville – de nombreuses familles de Saint-Roch, Saint-Sauveur et Saint-Malo affluèrent à Limoilou. Elles en firent le quartier le plus populeux de Québec…et donnèrent deux premiers ministres au Canada en élisant (à titre de circonscription de Québec-Est) sir Wilfrid Laurier et Louis Saint-Laurent.
Transcription par la FQS.
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