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L’exemple canadien – Drieu La Rochelle

 


Je voyais l’autre jour un film fait par Hollywood sur les Canadiens français et je croyais rêver.

N’était-ce pas des Français de France qu’on me montrait? Ces familles robustes, courageuses, simples et nombreuses…?

Hélas, robustes, courageuses, mais non pas nombreuses sont les familles de France. Et sans doute si peu nombreuses, parce qu’elles ont perdu une certaine simplicité.

N’est-ce pas un paradoxe étonnant que de voir des deux côtés de l’Atlantique les Français se manifester sous deux aspects si différents? D’un côté les familles les plus abondantes du monde, de l’autre les plus restreintes. D’un côté la tradition patriarcale la plus tenace, de l’autre l’abandon à l’individualisme.

Certes, on voit bien les raisons qui ont pu déterminer une telle différence. Le climat du Canada est autrement rude que celui d’une partie de la France et les conditions dans un pays où il fallait défricher, conquérir, lutter sans cesse devaient maintenir l’homme plus près de la règle vitale.

D’autre part, il faut reconnaître que le régime anglais, respectueux de ses sujets et dans ses sujets de ce qui est le meilleur d’eux-mêmes, à savoir leurs traditions et leurs vertus, ce régime qui concilie d’une façon inconnue chez nous l’autorité et la liberté, la libre pensée et la religion, la monarchie, l’aristocratie et la démocratie, l’orgueil anglais et les profondes autonomies locales – tout cela a fait beaucoup pour aider les Français du Canada à se maintenir à un haut niveau de santé et de cohérence.

Il n’en reste pas moins qu’on voit chez ces trois millions d’hommes qui descendent des quelques milliers de familles laissées par nous là-bas au XVIIIème siècle, de quoi sont capables les Français s’ils choisissent la ligne de la fécondité et de la durée.

Il y a là autour de Montréal et de Québec, un fait qui parle puissamment et qui appelle avec une vigoureuse exigence notre réflexion.

Tandis que je contemplais sur l’écran ces rangées de visages de chez nous qui sont restés fidèles avec une exactitude émouvante à notre façon nationale d’exprimer la vie, les sentiments, tandis que je passais dans la voiture du cinéaste parmi ces maisons modestes et charmantes toutes pareilles à celles de l’ouest de la France, je me disais qu’il s’en est fallu de peu que nous soyons aussi comme cela, robustes, nombreux, décidés à prospérer et à proliférer, que nous avons été longtemps comme cela, et que nous pouvons le redevenir.

Au fond, c’est une question de mode. La mode s’est établie en France depuis un siècle de ne pas faire d’enfants, de s’imaginer qu’on n’en pouvait pas faire, et de tout sacrifier à une certaine idée peu discutée du bonheur de l’individu libre d’entraves.

Mais un tel individu est-il heureux, plus heureux que le père de famille? L’individu croit se débarrasser de beaucoup de charges et de beaucoup de dépenses, de beaucoup d’ennuis et de beaucoup de déceptions en ne faisant pas d’enfants ou en n’en faisant qu’un ou deux.

Seulement, cet individu est obligé d’aller à la guerre.

Si la France était un Canada, un terroir chargé de familles bien fournies, flanqué d’une Afrique aussi copieusement garnie, il n’aurait pas la guerre tous les vingt ans. L’Allemand ne serait pas repris périodiquement par l’idée que les temps sont mûrs, que décidément la France diminuée est devenue une proie certaine.

En 1914, Guillaume pouvait dire : « Avec mes soixante millions d’âmes, je vais déborder ces quarante millions de Français. » En 1939, Hitler répète : « Les Français sont toujours quarante millions; avec mes quatre-vingt millions d’Allemands, je vais cette fois-ci sûrement les écraser. »

Et alors le Français qui pour aller plus souvent au cinéma, se payer un petit voyage de plus, arrondir ses économies, ne fait pas d’enfant à sa femme et se contente d’élever un chien, est obligé de remettre ça deux fois de suite dans sa vie. Et son copain qui à côté de lui en fait deux ou trois est obligé de le suivre.

Qu’a-t-il gagné à son égoïsme, le Français au chien?

Or, je le répète : ce n’est qu’une question de mode. Certes, je donne à ce mot-là un sens un peu fort. Cette immobilisation psychologique du Français qui ne se confie plus à la vie implique toutes sortes d’éléments philosophiques, politiques, sociaux. Mais, derrière tous ces éléments, il y a une espèce de mot d’ordre inconscient, idiot, accepté par tous sans réflexion et auquel des milliers de couples sacrifient non seulement leur garantie collective, mais bien des joies particulières.

Ce mot d’ordre pourrait changer. Il suffirait de peu de chose, d’une vue un peu plus large dans l’élite, d’un peu d’imagination, d’un peu de chaleur dans la presse, la radio pour provoquer un retournement des estimations morales, des évaluations vitales.

En peu de temps, les Français goguenards, sceptiques, en réalité crédules et attachés sans savoir pourquoi à une conception totalement fausse (les événements le prouvent) de leur tranquillité, découvriraient qu’ils ont dans les veines le même sang qui sur les bords du Saint-Laurent coule à grands flots généreux. Si généreux qu’il reflue aujourd’hui chez nous.

Les divisions canadiennes qui arrivent ont beaucoup de choses à nous apprendre.

Pour Le Petit Dauphinois, 1er février 1940, pp.55-61

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