Accéder au contenu principal

Marie-Barbe Loiselle – mère et espionne!

 


Après des mois de recherche, il me fait plaisir de vous présenter Marie-Barbe Loiselle, petite-fille de Louis Loiselle, « soldat de la garnison du château Saint-Louis[1] » et de Jean Pépin, major des compagnies de milice à Charlesbourg[2].

Née à Québec le 2 octobre 1750, Marie-Barbe Loiselle est la seconde fille de Charles Loiselle et de Marie-Joseph Pépin[3]. Son prénom, hérité de celui de sa marraine, Marie-Barbe Delaunay, veuve de Jean-Baptiste Monmellian[4], fait référence à sainte Barbe, patronne des artilleurs, des cuisiniers, des fossoyeurs et des pompiers. À ceux et celles qui auraient l’idée de le donner à leur fille, sachez que Baboche – mot désignant aujourd’hui de l’alcool de fabrication artisanale – était vraisemblablement son diminutif, à l’instar de Babet pour Élisabeth. Fait intéressant, Marie-Barbe Loiselle, alias Baboche, est surtout connue sous le nom d’Élisabeth Loiselle.

Alors qu’elle est âgée de quatre mois, ses parents, originaires de la paroisse de Charlesbourg, acquièrent de Monsieur Hiché, « propriétaire des terres de la pointe aux lièvres dépendantes de la maison blanche », un emplacement dans le quartier Saint-Roch de 50 pieds de front par 60 de profondeur, au coin des rues Saint-Joseph et Saint-Dominique[5]. Cinq ans après cette acquisition, sa mère, âgée seulement de 35 ans, rend l’âme[6]. L’année suivante, son père, qui a un urgent besoin d’aide à la maison, épouse en seconde noces Marguerite Bourré[7].

Québec, here we come!

En mai 1759, suivant l’annonce de l’arrivée imminente à Québec de navires de guerre britanniques, tous les hommes valides âgés entre 16 et 60 ans doivent participer à l’érection d’ouvrages défensifs. Charles Loiselle, âgé de 38 ans, charretier de profession, a possiblement travaillé à la construction de retranchements le long de la rivière Saint-Charles, dont certains allaient de la rue Saint-Roch jusqu’à l’actuelle Pointe-aux-Lièvres.

Du 12 juillet au 13 septembre suivant, jour de la bataille des Plaines d’Abraham, des milliers de projectiles s’abattent sur Québec. Le quartier Saint-Roch, où réside la jeune Élisabeth Loiselle, n’est pas épargné par l’ennemi. Plusieurs maisons y sont détruites et un enfant y est tué par des éclats de bombe[8].

[10 août 1759] Les ennemis continuent toujours de bombarder; la plus grande partie de leurs bombes tombe dans le quartier St. Roch ; plusieurs maisons en sont déjà écrasées ; cependant ils commencent à partager leurs faveurs sur tous les quartiers de la ville ; ils ne veulent pas faire de jaloux[9].

Rebel, rebel

Seize ans après la victoire britannique, Élisabeth, maintenant âgée de 25 ans, est probablement la seule de sa famille à résider à Québec lorsque les rebelles américains dirigés par Benedict Arnold et Richard Montgomery entrent dans Saint-Roch en décembre 1775[10]. Malgré que son quartier soit investi par l’ennemi, elle choisit de montrer sa loyauté envers la Couronne britannique en acceptant le rôle d’agente de renseignement. Au service du gouverneur Guy Carleton, Mademoiselle Baboche a pour mission de se déplacer entre deux feux afin d’obtenir des informations sur les rebelles.

Le 17 janvier 1776, après avoir été démasquée et jetée en prison, elle réussit à s’enfuir et vient se réfugier à l’intérieur des murs de la ville avec de nouvelles informations.

January 17, 1776. A Mademoiselle Baboche (since pensioned by our Government), who had been employed to bring in intelligence, and was detected by the Yankees, and confined, made her escape, and came in today. She confirms the account of General Wooster and his three companions having arrived from Montreal, accompanied by Mr. Walker, and who it seems also takes a command; and further says, that since the affair of the 31st ult. above 200 of them had deserted[11].

L’espionne au bedon…

Deux ans seulement après le départ des rebelles (mai 1776), le gouvernement accorde à trois résidents de Québec, dont Élisabeth Loiselle, une pension à vie pour services rendus durant l’hiver 1775-1776[12].  Son travail d’agente de renseignement fut assurément très apprécié par les autorités, puisque les miliciens britanniques et canadiens, qui ont participé à la défense de la ville, ne seront récompensés qu’en 1801-1802 [14].

Lorsqu’elle reçoit cette allocation, Élisabeth est depuis peu mère d’une fillette née hors mariage, nommée Marie-Josette Magnan[15]. Sa date de naissance demeure incertaine, mais des documents portent à croire qu’elle serait née en mars 1776 [16]. Si cela s’avère, Élisabeth aurait donc agi comme espionne durant sa grossesse.

Elizabeth Loiselle for services performed in the winter 1775 by giving town intelligence of the Rebels motions from the 1st of May to the 31st of October 1778. 10£ [17]

Infirmité ou dépression majeure?

Le 23 mars 1779, « absente d’esprit depuis quelques mois » et n’ayant personne pour prendre soin d’elle, Élisabeth obtient l’aide de son oncle maternel Mathieu Hianveux dit Lafrance, époux de Marguerite Pépin, qui s’occupe de lui faire nommer un curateur pour la nourrir, la loger et l’entretenir. Déclarée infirme par son oncle, Élisabeth vit possiblement une dépression majeure. Serait-elle atteinte d’un trouble post-traumatique?

Aux honorables juges des prérogatives du district de Québec, supplie humblement Mathieu Hianveux dit Lafrance, huissier, au nom et comme oncle maternel à demoiselle Babet Loisel, absente d’esprit depuis quelques mois et infirme demeurante en cette ville ; disant que depuis son infirmité et n’ayant personne pour prendre soin d’elle ni de ses propres intérêts, ladite infirme n’ayant de quoi subvenir à ses nécessités faute de personne qui prenne soin de ses petits intérêts […] [18]

Il semble qu’Élisabeth recouvre rapidement la santé car, en 1780, elle donne naissance à un enfant illégitime nommé Guillaume Martin[19]. Deux ans plus tard, un troisième enfant né hors mariage voit le jour. Il s’agit de Charlotte Tod, fille naturelle de James Tod, marchand protestant de Québec[20]. Celui-ci n’épouse pas Élisabeth mais demeure avec elle jusqu’à sa mort en octobre 1816[21]. Un an après le décès de son « conjoint de fait », le 14 octobre 1817, notre héroïne rend l’âme à son tour à Québec, à 67 ans. [22]

Un personnage d’importance historique nationale

Si Laura Secord a été reconnue en 2002 personnage d’importance historique nationale pour avoir contribué à repousser les Américains lors de la guerre anglo-américaine de 1812 en parcourant à pied plusieurs kilomètres afin de livrer une information cruciale aux autorités britanniques, Marie-Barbe Loiselle, qui s’est exposée à plus d’une reprise au danger pour accomplir sa mission durant le siège de Québec de 1775-1776, devrait incontestablement avoir droit à la même désignation ainsi qu’à un monument à sa mémoire sur la rue Saint-Joseph!

 

Accéder à la pétition demandant la reconnaissance de Marie-Barbe Loiselle comme personnage historique national.


Notes :

[1] BAnQ, Québec, CN301,S236, 11 juin 1796.

[2] Ibid., CN301,S115, 16 octobre 1746.

[3] Registre de l’église Notre-Dame, Québec, 2 octobre 1750.

[4] Ibid., 4 juin 1756.

[5] BAnQ, Québec, E1,S4,SS4,D97.

[6] Registre de l’église Notre-Dame, Québec, 30 août 1756.

[7] Ibid., 16 août 1757.

[8] Aegidius Fauteux, Journal du siège de Québec, Du 10 mai au 18 septembre 1759, Québec, 1922, p. 7-8, 54-55.

[9] Ibid., p. 54.

[10] Suivant le décès de sa belle-mère, Marguerite Bourré, en 1766, son père Charles est allé rejoindre à Montréal son frère Jacques, ancien passager de la rivière Saint-Charles.

[11] « Journal of the principal occurrences during the siege of Quebec by the American revolutionists under Generals Montgomery and Arnold in 1775-1776 », dans Blockade of Quebec in 1775-1776 by the American Revolutionists (Les Bastonnais), Québec, Literary and Historical Society of Quebec, 1906, p. 73.

[12] Les deux autres résidents de Québec à recevoir en 1778 une pension à vie pour services rendus durant l’hiver 1775-1776 sont Charles Daly, blessé à la bouche au moment où il tira un coup de canon chargé de mitraille sur l’ennemi qui cherchait à contourner la seconde barricade, et Suzanne Valentin, âgée de 26 ans, mère de trois jeunes enfants, dont le mari, Louis Valeran, fut tué lors de l’assaut du 31 décembre 1775.

[14] The Quebec Gazette, 19 mars 1801, p. 4 ; 21 mai 1801, p. 4.

[15] Le 28 juillet 1795, Marie-Josette Magnan épouse à l’église Notre-Dame de Québec Louis Ruel, capitaine de bâtiments marchands, de la ville de Québec.

[16] Le recensement du Canada-Est de 1851 indique que Marie-Josette Magnan est alors âgée de 75 ans. Le registre de l’église de Notre-Dame-de-L’Assomption de Bellechasse rapporte qu’elle est décédée le 16 octobre 1856 à l’âge de 81 ans. En 1775, le registre de l’église Notre-Dame de Québec ne fait mention d’aucune Marie-Josette illégitime. L’année suivante, on en retrouve deux. Tandis que la première vient au monde le 27 mars 1776, la seconde est baptisée le 25 août, mais celle-ci est inhumée trois mois plus tard. En 1777, deux Marie-Josette illégitimes sont baptisées à l’église Notre-Dame de Québec. La première, le 12 mars, et la seconde, le 14 septembre. Pour les mêmes années, les registres des églises de Sainte-Foy, Charlesbourg, Ancienne-Lorette et Jeune-Lorette (Loretteville) ne contiennent aucune Marie-Josette illégitime. Le recensement du Canada-Est de 1851 indique que Marie-Josette Magnan est alors âgée de 75 ans. Le registre de l’église de Notre-Dame-de-L’Assomption de Bellechasse rapporte qu’elle est décédée le 16 octobre 1856 à l’âge de 81 ans.

[17] BAC, R11231-0-1-E, Haldimand Papers, B-198, H-1740, p. 44.

[18] BAnQ, Québec, CC301,S1,D5240.

[19] Il s’agit peut-être de Jean-Guillaume, enfant illégitime, baptisé à l’Église Notre-Dame-de-l’Annonciation de l’Ancienne-Lorette le 27 septembre 1780. En 1795, Guillaume, qui est âgé de 14 ans, se fait désormais appeler William Martin. BAnQ, Québec, CN301,S284, 26 juillet 1795.

[20] Registre de l’église Notre-Dame, Québec, 7 février 1782 ; BAnQ, Québec, CN301,S224, 21 juin 1791.

[21] The Quebec Mercury, 18 octobre 1816, p. 1.

[22] Registre de l’église Notre-Dame, Québec, 18 octobre 1817.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Un cri d’alarme sciemment étouffé – Maxime Raymond – Bloc Populaire Canadien (1883-1961)

  La Fédération des Québécois de souche n’est pas le premier organisme à s’inquiéter de l’immigration de masse et de son impact. Déjà, en 1928, le député Maxime Raymond levait le drapeau et sonnait l’alarme. En opposition à la trahison de la promesse d’Ottawa de ne pas imposer la conscription, les Canadiens français s’y opposant majoritairement, il participa à la fondation du Bloc populaire canadien, après avoir quitté le parti Libéral. Son cri d’alarme ne fut pas entendu, et il dut le réitérer en 1942, dans le programme du Bloc populaire. Aujourd’hui, près de 100 ans après son premier appel, il reste autant d’actualité. Les seuils en immigration ne sont toujours pas dressés selon les besoins réels, mais pour des raisons idéologiques, comme Justin Trudeau le confirme année après année. Cela démontre que le peuple canadien-français n’eut point besoin d’attendre les mises en garde d’Enoch Powell, de feu Jean Raspail ou de Renaud Camus pour comprendre le danger potentiel

Compte-rendu: Séparatisme, doctrine constructive

    Près de 80 ans séparent Séparatisme de Dostaler O’Leary de La jeunesse au pouvoir de Julien Langella et pourtant les similarités sont frappantes. Écrits sur deux continents séparés par un océan dans deux siècles séparés par une révolution technologique et sociétale, ces deux ouvrages représentent le cri d’une jeunesse catholique nationaliste. Ce qu’on veut : que la jeunesse assume son rôle de meneur au sein de la nation et mette fin à la politique fade et insipide des partis actuels, dans un système qui relève davantage de la gérontocratie que de la démocratie. Pour Dostaler O’Leary, il faut un idéal pour soulever les jeunes et cet idéal est la fondation d’un État catholique français en Amérique. « Ce qu’il faut, c’est cristalliser toutes nos énergies nationales autour d’une idée, d’un mythe que tout Canadien français doit défendre : l’indépendance nationale. » – Dostaler O’Leary Pour lui, le projet autonomiste ou d’un état au sein de la Confédération est un leurre

Havre-Saint-Pierre: Les Sciegouines des îles Mingan

Les  canotiers  ne  craignaient  aucun  monstre  autant  que  la  «  sciegouine des  mers  »,  sorte  de  poisson-scie  pourvu  de  dents  sur  tout  le  dessus  de  son corps  et  capable  de  scier  le  bois  et  le  fer.  Ce  poisson  fabuleux  coupait  les embarcations  d’un  bord  à  l’autre  par  le  milieu  et  les  hommes  se  retrouvaient à  l’eau. Ce  n ’est  pas  d ’hier  qu’elle  fit  son  apparition,  puisque  les  premiers Européens  qui  franchirent  les  mers  en  direction  de  l’Amérique  la  rencontrè­rent  dès  le  XVIIe  siècle. La  sciegouine  s’amenait  à  grande  vitesse,  toujours  en  ligne  droite,  le dos hérissé de dents qui  traçaient une  raie blanche  sur l’eau.  Elle commençait par  filer  comme  une  comète  en  passant  juste  à  l’avant  ou  à  l’arrière  de l’embarcation. Aussitôt, les mariniers criaient  :  «  Attention, v’là une sciegouine des  mers  qui  prend  ses  mires  !  »   Et  vilement,  ils  redressaient  l ’embarcation pour